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Rixes entre adolescents : un phénomène ancien mal médiatisé

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Marie TEXIER

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Quand j’observe les reportages sur les affrontements entre jeunes dans nos quartiers, je ne peux m’empêcher de penser à mes années d’enseignement où déjà nous devions gérer des tensions similaires. …

Rixes entre adolescents : un phénomène ancien mal médiatisé

Quand j’observe les reportages sur les affrontements entre jeunes dans nos quartiers, je ne peux m’empêcher de penser à mes années d’enseignement où déjà nous devions gérer des tensions similaires. Les rixes adolescentes semblent toujours être présentées comme un phénomène nouveau et alarmant, mais qu’en est-il vraiment? Entre les gros titres sensationnalistes et la réalité du terrain que connaissent bien les familles, examinons ce que nous dit véritablement l’histoire de ces conflits.

Les rixes entre jeunes, un phénomène ancien aux multiples visages

Les affrontements entre groupes d’adolescents n’ont rien de nouveau dans notre paysage social. En réalité, ces comportements accompagnent l’histoire urbaine française depuis plus d’un siècle. Au début des années 1900, ces groupes étaient surnommés « les Apaches » dans la presse, reflétant les préjugés de l’époque sur la sauvagerie supposée de ces jeunes.

Cette continuité historique se manifeste à travers différentes appellations selon les époques :

  • Les « Blousons noirs » à la fin des années 1950
  • Les « Loubards » et « Zonards » dans les décennies 1970-1980
  • Les « jeunes de cités » à partir des années 1990
  • Les « bandes rivales » dans les années 2000-2020

En tant que membre active d’une association de parents d’élèves, j’observe que ces conflits se manifestent souvent dans les mêmes contextes : territoires marqués par des frontières symboliques, établissements scolaires partagés, et espaces de socialisation communs. Le plus frappant dans les discussions entre parents reste cette impression que le phénomène serait nouveau, alors qu’il s’inscrit dans une longue tradition de rivalités juvéniles.

Selon Laurent Mucchielli, sociologue et directeur de recherche au CNRS, si nous prenions au sérieux l’idée que chaque nouvelle génération est « plus violente » que la précédente comme l’affirment régulièrement certains médias depuis plus d’un siècle, nous devrions logiquement observer des nourrissons braquer des banques aujourd’hui. Cette hyperbole souligne l’absurdité du discours alarmiste qui accompagne invariablement ces événements.

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Les motifs réels derrière les affrontements adolescents

Quand nous discutons entre parents des causes de ces confrontations, nous entendons souvent des explications simplistes liées aux trafics de drogues. Pourtant, la réalité s’avère bien plus nuancée. La majorité des jeunes impliqués dans ces bagarres collectives n’ont pas d’antécédents judiciaires, contrairement aux idées reçues.

Les véritables déclencheurs de ces conflits sont multiples et reflètent les préoccupations adolescentes universelles :

Motif de conflit Manifestation
Rivalités amoureuses Disputes autour de relations, jalousies, rumeurs
Questions d’honneur Atteintes à la réputation, insultes publiques
Défense territoriale Identification forte au quartier, frontières symboliques
Recherche d’affirmation Construction identitaire, besoin de reconnaissance

En organisant des groupes de parole entre parents et adolescents dans notre association, nous constatons que les leaders de ces confrontations sont souvent des jeunes en grande difficulté personnelle. Confrontés à des conflits familiaux ou à l’échec scolaire, ils investissent un rôle valorisant au sein du groupe, compensant ainsi un manque de reconnaissance ailleurs.

La nouveauté réside principalement dans la vitesse de propagation des conflits. Les réseaux sociaux accélèrent considérablement le passage de la dispute verbale à l’affrontement physique. Ce qui prenait plusieurs jours il y a vingt ans peut désormais se produire en quelques heures seulement.

Le traitement médiatique : quand l’information devient spectacle

Chaque fois qu’un incident grave impliquant des adolescents survient, j’observe avec inquiétude comment l’information est traitée. Le schéma médiatique reste invariablement le même : sélection de faits divers criminels spectaculaires, généralisation hâtive, et relais des déclarations politiques promettant des renforts policiers.

En février 2021, après le décès tragique de deux adolescents en région parisienne, les chaînes d’information en continu ont consacré plus de 70% de leur temps d’antenne à ce sujet pendant une semaine, créant artificiellement une impression d’épidémie de violence.

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Ce qui me frappe particulièrement en tant que rédactrice spécialisée en questions éducatives, c’est l’absence quasi-totale d’investigation réelle. La dépendance aux sources officielles – communiqués gouvernementaux et fil AFP – produit une information formatée, sans recul ni analyse approfondie. Les journalistes se contentent souvent d’accumuler :

  1. Des commentaires convenus sur « la violence croissante »
  2. Des généralités sur « la perte des repères »
  3. Des jugements moralisateurs sur « la démission des parents »
  4. Des solutions simplistes axées sur la répression

Les causes profondes – échec scolaire, inégalités territoriales, manque d’espaces de socialisation positifs – sont rarement examinées, alors qu’elles constituent le terreau de ces tensions.

Des pistes pour accompagner nos enfants face à ce phénomène

L’expérience de terrain montre que la présence adulte reste le meilleur rempart contre l’escalade de la violence. Dans nos réunions d’association, nous insistons sur l’importance d’une mobilisation concertée entre tous les acteurs éducatifs. Notre rôle de parents consiste à créer des espaces de dialogue où nos adolescents peuvent exprimer leurs tensions avant qu’elles ne dégénèrent.

Plusieurs initiatives locales attestent leur efficacité. La médiation par les pairs dans les établissements scolaires, les activités inter-quartiers permettant des rencontres positives, et les interventions d’éducateurs spécialisés directement sur les réseaux sociaux constituent des approches prometteuses.

La collaboration entre familles, école et acteurs associatifs permet de désamorcer rapidement les conflits naissants. Étant parents, notre vigilance bienveillante et notre capacité à aborder ces sujets sans dramatisation excessive représentent des atouts précieux pour accompagner nos adolescents dans cette période tumultueuse de construction identitaire.

En définitive, plutôt que de céder à la panique médiatique, nous avons tout à gagner à replacer ces phénomènes dans leur contexte historique et social, tout en renforçant les liens intergénérationnels qui constituent le véritable antidote à la violence juvénile.

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